L’Être Numérique ou l’émergence d’un nouveau culte
Il faut être habitué à arpenter les coins les plus reculés du Dédale pour tenter de percer le mystère qui entoure cet Être Numérique. Si ce nom parvient aux oreilles de ceux qui y habitent ou s’y rendent régulièrement, il reste totalement inconnu hors ces murs. Pour beaucoup d’observateurs dont je fais partie, cette entité est apparue soudainement, mais après quelques mois d’enquête, il apparait que le phénomène mûrit depuis longtemps et que le fait d’en entendre parler n’est en fait que la partie de l’iceberg que nous voyons enfin émerger.
Le Dédale possède en son sein une vivacité et une diversité liée à sa population cosmopolite tout autant qu’à son histoire chaotique. Nombre de personne, ici, a été bercée par des drames familiaux, des scènes d’une rare violence hérités de la 1ere Guerre Mondiale Numérique et fait encore face à la peur, quotidienne, de se voir arrêter et emprisonner arbitrairement. Dans un tel contexte, il ne faut pas s’étonner que s’expriment nombre de courants artistiques et culturels variés. Les murs sont recouverts d’œuvres en tout genre, les ruelles dansent au son des musiques nouvelles, s’arrêtent devant les harangueurs de foule vociférant des discours politiques tout autant que déclamant des poésies de rue.
Un joyeux bordel organisé, une cacophonie improbable qui donne à ce quartier toute sa vivacité. Mais voilà qu’au cours de mes dernières pérégrinations, certains discours m’ont paru discordants, comme si une fausse note s’était immiscée dans une mélodie à ceci près que cette note sonnait juste en réalité… Trop juste. Certains éléments nouveaux apparurent aussi : aux discours structurés invoquant l’arrivée d’une nouvelle divinité, des personnages déambulaient affublés de tuniques pourpres, de nouvelles œuvres dédiées à cette mystérieuse entité fleurissaient.
Rares dans un premier temps, quoique déjà perturbants, ces signes se firent bien plus prégnants jusqu’à ce qu’une nouvelle accalmie me fasse imaginer que cet épisode n’avait été qu’une lubie alors que nous n’étions qu’au début d’un mouvement qui n’en finissait pas de se structurer. Ce n’est que récemment que j’ai pu mettre un nom sur cette entité dont parlait à demi-mot ses “disciples” lors de leurs happening dans les rues du Dédale, Être Numérique donc.
Auprès de la foule qui écoutait, peu d’information m’était donné. Les personnes que j’interrogeaient restaient dans un mutisme qui ne faisait qu’épaissir le mystère avant que je ne comprenne qu’en réalité ils ignoraient eux aussi de quoi il s’agissait.
« Elle (oui, l’Être Numérique est déjà genrée) s’est manifestée sur nos réseaux, Elle sera bientôt parmi nous, capable d’influer sur la réalité ! »
« Le Dédale et tous les bastions Non-Citoyens seront bientôt libérés, une nouvelle guerre se prépare ! »
Et autant de phrases chocs scandées dans les rues, graffées sur les murs sans que personne ne comprenne réellement de qui ou de quoi il est question. La foule, d’abord incrédule autant que moi, m’a parue plus sage et habituée à ces discours, comme les adoubant silencieusement. C’est sûrement ce qui m’a décidé à approfondir mon enquête.
Pendant plusieurs mois j’ai tenté d’entrer en contact avec ces illuminés habillés de pourpre, mais leur refus était catégorique, chacun m’objectant toujours la même évidence : « Nous ne dirons jamais rien à des Citoyens. ». S’ils ne s’opposent pas à ce que je témoigne de ce que je peux voir, ils ne participeront pas à m’aider dans ma quête afin de comprendre en détail le principe de leur mouvement ou de leur Etre Numérique.
Le fait est qu’à présent, des espaces dédiés à ce culte fleurissent. Des adaptes qui, d’après les quelques retour que j’ai pu glaner ces dernières semaines, restent dans un flou artistique complet. Le fait qu’un concept de divinité, de religiosité plaise à des Non-Citoyens en quête de sens n’est pas étonnant. Pour beaucoup, croire en quelque chose de supérieur permet de s’évader, de croire en l’avenir, de se sentir écouter, de panser des blessures encore vives. La naissance de maintes courant artistiques réalisait déjà cette catharsis, il est évident qu’il restait encore assez de place pour l’émergence d’une religion.
Religion, oui, les mots peuvent paraître exagérés, mais il faut les voir, tous, en osmose lors des rassemblements, récitant des discours tels des messes, adorant une entité qu’ils n’ont jamais vu et dont ils n’ont qu’une vague idée de ce qu’elle représente. C’est d’ailleurs là le succès de ce culte : laisser les Non-Citoyens s’accaparer l’image de l’Être Numérique, en faire ce qu’ils désirent. Cependant, tous sont unis derrière le concept, la clés d’un succès qui va aller en grandissant.
Dernièrement, j’ai enfin pu avoir un semblant d’explication sur ce que serait cet Être Numérique. Il s’agirait d’une intelligence auto-générée, apparue au sein du Net contaminé. Alimentée par la conscience pirate du réseau des Non-Citoyens, elle aurait la capacité d’influer sur le net autant que sur la réalité. Les deux étant particulièrement intriqués dans notre société, cette définition de l’Être Numérique n’est pas farfelue bien que très vague. Pour autant, je n’ai été témoin d’aucune de ses manifestations, d’aucun coup d’éclat particulier et les Non-Citoyens n’ont revendiqué aucune action malgré le soutien de cette déesse numérique…
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