Le Dédale, épicentre de la culture Non-Citoyenne
La naissance du Dédale et des ghettos Non-Citoyens
L’histoire de nos villes est faite de quartiers cossus, de zones industrielles et commerciales, de monuments représentatifs, de quartiers historiques, fiertés touristiques et culturelles et bien entendu de ghettos. Ces derniers, relégués aux abords des cités, là où les regards n’ont pas à se porter, où ce qui ne se voit n’existe pas, sont ignorés, oubliés jusqu’à ce qu’une explosion sociale, qu’une révolte y naisse et que les yeux s’ouvrent à nouveau. Dans ces moments de crispations, rares sont les politiques qui se sont intéressées au cœur du problème, à la souffrance de ceux qui sont obligés de vivre dans ces zones et à qui l’on demande de se débrouiller pour braver les obstacles d’une éventuelle réussite sociale. Non, ce qui émeut l’opinion publique, c’est de se désoler devant la destruction de biens sans se soucier de la cause de ces accès de rage, ces démonstrations de colère. Jusqu’à ce que les tensions s’apaisent et qu’un voile d’ignorance et d’aveuglement baigne à nouveau ces quartiers que l’on préfère ne pas voir.
Et puis, il y a le Dédale…
A quelques mois de la fin de la 1ere Guerre Mondiale Numérique, les pirates pourchassés ont fait d’une vaste partie de l’île de Nantes, un bastion imprenable. Nombre de combats eurent lieux, d’exactions militaires où tout était permis pour débusquer ceux que le monde avait appris à craindre et à détester. Mais les Pirates tinrent le coup, organisés, capable de se muer en fantômes, de se défendre et de faire de cette zone barricadée une chianli bien française.
Nul doute que les Pirates auraient perdu le combat au bout du compte, qu’ils auraient tous été délogés un par un. Mais dans un souci d’apaisement, alors qu’à travers le monde les Pirates rendaient les “armes”, que la paix promettait de s’installer, l’Union Européenne accepta de conserver ce quartier comme zone de paix, offrant aux Pirates, sous conditions de cesser toute attaque, la jouissance de cette aire, signe de bonne foi en faveur d’un apaisement définitif.
Partout dans le monde d’autres quartiers furent réquisitionnés de la sorte, mais le Dédale est le seul à être au cœur d’une ville majeure. Depuis, les Non-Citoyens y sont parqués, car le Dédale n’est autre qu’un ghetto parmi tant d’autres où l’on y entasse ceux qui refusent de suivre l’ultra-connectivité des sociétés d’après-guerre. Mais dans le Dédale, la communauté s’est organisée, relevée, représentant l’épicentre d’un avenir peut-être radieux pour les Non-Citoyens.
Au cœur du Dédale
Il faut être amoureux du chaos organisé, du désordre comme structure sociale pour aimer le Dédale. Arpenter ces rues sinueuses, étroites, où, par endroits, les hautes maisons semblent se rejoindre et les toits se toucher, devient rapidement un besoin, une drogue douce et vitale. Pour les nouveaux arrivant, sans guide, c’est se perdre assurément, c’est aussi passer à côtés des trésors cachés du quartier. Et puis, avec le temps, c’est goûter à la liberté totale, à l’émerveillement dans chaque recoin sombre, à la découverte de nouvelles beautés lorsque l’on pensait tout connaître.
J’ai le privilège de faire partie des premiers squatteurs de ce quartier, d’y avoir livré des batailles, vu des êtres chers y périr et petit à petit fonder avec mes congénères venus de tout pays, de toutes classes sociales, une communauté soudée face aux périls militaires et policiers. Nous avons remporté la victoire, une victoire au goût amer certes, mais au moins, nous jouissons d’une liberté relative, nous sommes maîtres de nos vies quand dehors, tous sont pucés et surveillés.
Le Dédale jouit d’une protection particulière, celle d’un symbole, un symbole de paix et d’apaisement. Ici, comme dans tout ghetto, la colère provoquée par l’injustice couve, attendant une étincelle pour que le feu rejaillisse à nouveau. Et c’est bien ce que les gens dehors veulent éviter, c’est encore trop tôt, trop frais, mais nous savons ici, que l’heure viendra où l’on tentera de nous détruire, de nous chasser.
La liberté ici est toute relative malgré tout, nous sommes en permanence surveillés, testés, nos nerfs éprouvés. Des descentes sont régulièrement organisées, de fameux Pirates se cachent ici et se font débusquer les uns après les autres. Il gravite dans le Dédale nombre de policiers en civils, se faufilant dans la foule, à la recherche de nouveaux indics. Mais ils ne restent jamais bien longtemps, nous parvenons toujours à les identifier.
Le Dédale est un lieu à part, en dehors du temps, baigné dans la low-tech, la philosophie de récup’, alimenté par le Net que, dehors, ils appellent le “Net contaminé”. Le jour, le quartier vie d’une énergie rare, entre les marchands à la crié, les lieux de solidarité, les espaces de troc et les jardins citoyens, chacun œuvre pour la communauté, pour que les Non-Citoyens n’aient rien à devoir à personne, puissent élaborer une société autonome, sans surveillance, sans Energie du Net.
Au détour d’une rue, vous pouvez tomber sur une clairière où le béton a laissé sa place à la végétation, aux aquacultures où, par forte chaleur, les habitants aiment se rejoindre. Il y a ici une réelle vie de quartier, nous faisons contre mauvaise fortune, bon cœur, alliant un esprit de solidarité au désir de construire une nouvelle façon de vivre, de se socialiser.
Certaines affaires officieuses se signent ici, les citoyens de dehors confondant souvent Dédale et Non-Citoyen avec liberté et impunité totale.
Rien n’est simple ici, pourtant tout problème trouve ses solutions. Pour autant il ne faut pas imaginer un tableau idyllique. Les tensions entre groupuscules Pirates se font toujours sentir, les ruelles trop sombres peuvent se transformer en guet-apens, les règlements de compte sont légion, il faut souvent savoir choisir son camp, ou périr. Nul n’est à l’abri d’être banni du Dédale, si certaines personnalités historiques du Dédale font office de représentants et de porte-voix, ils ne sont pas là pour faire régner l’ordre et la loi, chacun est maître de ses actes, mais aussi de leurs conséquences…
La nuit, le quartier déborde d’une vie nouvelle. Tous les commerces les plus underground se trouvent ici, ce n’est pas pour rien que certains citoyens bravent les risques d’éteindre le signal de leur Navi pour venir se fondre parmi les Non-Citoyens et profiter d’activités non surveillées. Tout ce qui sort du Dédale est illégal, les lois extérieures nous régissant sont simple : entrer et sortir du quartier est toléré à condition de se soumettre à des inspections. Ce qui est vendu ou consommé dans le Dédale est strictement légal au sein du quartier mais est considéré illégal au dehors. Les Non-Citoyens ne sont pas admis en dehors de ce quartier, excepté pour rejoindre un autre ghetto Non-Citoyen et sous surveillance des représentants de la loi citoyenne. Les citoyens, quant à eux, peuvent pénétrer dans ce quartier à condition de pouvoir justifier de leurs activités, la désactivation de leur Navi est tolérée pour une durée d’une heure maximum. Toute personne contrevenant à ces prérogatives peut dès lors être considéré comme renégat et fiché Non-Citoyen, se voyant retirer leurs droits de citoyen.
Malgré cette liste exhaustive des conditions créées autour du Dédale, il n’est pas rare d’y croiser des personnalités dont le laisser-passer témoigne d’une justice à plusieurs vitesses. Combien de politiques, hommes d’affaires, même policiers ou militaires en civil arpentent les rues du quartier la nuit en quête de plaisirs interdits et/ou surveillés ailleurs, à la recherche d’objets permettant de créer des réseaux parallèles et naviguer en dehors du “Net libre” ? Certaines affaires officieuses se signent ici, les citoyens de dehors confondant souvent Dédale et Non-Citoyen avec liberté et impunité totale.
Le Dédale est avant tout un quartier au multiculturalisme salvateur. Chaque religion a droit de cité, chaque culture peut s’exprimer sans que les regards changent. Ce brassage culturel fait naître des architectures nouvelles, des zones bigarrées où les marchés et les pas de porte font se mélanger des saveurs et des fragrances des pays du monde entier. Il semble émerger ici une nouvelle façon de créer une société, où le mélange des croyances en font naître de nouvelles, où les œuvres culturelles se mélangent pour inventer de nouveaux courants. L’exemple le plus flagrant est l’émergence dans le monde des citoyens de la musique electro-bit qui se répand comme une trainée de poudre. Dites-vous qu’elle est née dans le Dédale et que son inventeur n’en reste pas moins pourchassé ici comme criminel de guerre.
Le quartier tire aussi sa force de ses communications avec les autres ghettos à travers le monde. La communauté Non-Citoyenne se forge son identité et son histoire, sa culture, par l’échange incessant, par l’intermédiaire de notre Océan (comprendre le Net) avec nos congénères à travers le monde. Chacun s’aide en échangeant des informations, partageant des idées et des projets sociaux permettant de s’inventer une autre vie, une autre société.
Le Dédale est certes l’épicentre de la culture Non-Citoyenne, mais il n’en est qu’une de ses nombreuses ramifications et un jour le monde entier comprendra que le salut vient de notre culture, nous œuvrons chaque jour dans ce sens, ce n’est qu’une question de temps.
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