De l’espace aux abysses
L’espace, une décharge intergalactique
Il fut un temps où l’espace était un Eldorado promis, un lieu de promesses, de nouveaux voyages, d’aventures extraordinaires. C’est un temps où tout était encore possible, où nombre d’entreprises privées ambitionnaient de mener l’humanité vers l’infini et au-delà.
En quelques années, la donne a changé du tout au tout, la crise des ressources a d’abord frappé, contraignant plusieurs secteurs d’innovation à cesser leurs travaux pour les concentrer là où l’absolu nécessité le demandait. Ensuite, parce que la colonisation de notre basse atmosphère par des millions de satellites a rendu l’accès à l’espace trop dangereux pour être envisagé. C’est ainsi que nous avons fait de notre ciel, une décharge à ciel ouvert.
Peu de nos contemporains peuvent se remémorer l’enchainement d’accident qui a frappé plusieurs missions parmi les plus prometteuses, réduisant en poussière des fusées et des chargements valant plusieurs milliards de dollars. A mesure que l’on continuait à envoyer des constellations de satellite en basse orbite, l’on fermait inexorablement l’accès au-delà. Ces accidents ont non seulement provoqué l’arrêt des programmes spatiaux jugés trop risqués pour que les assureurs s’y associent, mais ont aussi exacerbés les tensions géopolitiques, prémices de la nouvelle Guerre Froide.
Les entreprises privées créées au siècles précédent, financées à coup de milliards par un quelconque mécène, ne cherchent plus à aller sur Mars, non, elles n’offrent plus que le frisson d’un voyage aux limites de notre atmosphère pour de richissimes clients tout en continuant à infester l’espace de leurs satellites indispensable à notre société ultra-connectée.
Chaque puissance, pour conserver sa souveraineté numérique n’a de cesse de lancer ces satellites construits à la chaînes, éphémères certes, mais dont la présence est autant un besoin pour l’accès au Net qu’une manœuvre géostratégique. Dès lors – et en particulier depuis que la charte des droits de l’homme s’est munie du Pacte International sur les libertés individuelles et privées promettant à chaque être d’avoir un accès inconditionnel au Net – nous pouvons toujours faire mouvoir nos véhicules guidés automatiquement, gérer la congestion de la flotte automobile à terre ou encore gérer la consommation de nos énergies. Pour les puissances de ce monde c’est aussi et surtout de s’adjuger des morceaux d’espace, non seulement pour ne pas dépendre de leurs adversaires numériquement mais aussi pour rendre les états incapables de se mêler à cette course à l’espace, bien plus dépendants de leurs services.
Ces myriades de constellations ne sont pas seulement une malédiction pour les photographes chasseurs d’étoiles pour qui il est à présent impossible de prendre des clichés d’un ciel étoilé non pollué, elles sont une gageure pour qui contrôle le flux des satellites. Qu’un seul de ces objets dysfonctionne et c’est un enchainement d’accidents spatiaux potentiels. Au-delà de la pollution que cela engendre, constellant l’espace de débris en orbite, se sont surtout les répercussions politiques qui sont craintes. L’organisme de Contrôle des flux spatiaux créé sous l’égide de l’ONU afin de dresser une carte routière des satellites, s’assure qu’aucune collision grave n’intervienne. Cependant, elle alerte aussi sur le fait que l’espace manque… D’espace. Nous sommes proche d’une saturation complète de notre basse atmosphère.
Si des programmes spatiaux subsistent, c’est avant tout pour tenter de trouver une solution à la dépollution de l’espace, voilà tout. Les gerbes filantes dans nos cieux nocturnes sont autant de traces d’étoiles filantes que de débris spatiaux traversant notre atmosphère. La station spatiale internationale est abandonnée et chacun attend sa descente sur terre avec un mélange d’excitation et de crainte. Quels dégâts cela va-t-il engendre, quelles zones de notre planète en seront les victimes ? Qui sera tenu pour responsable ? Des questions auxquelles aucune réponse précise n’est possible de donner, hélas.
La seule chose que l’humanité a été capable de faire, c’est transformer l’espace en une décharge intergalactique, un lègue magnifique dont on se serait bien passé.
Mais il faut croire que partout où l’homme passe, les seules traces qu’il est capable de laisser sont aussi tenaces et ragoutantes que celles laissées dans un caleçon sale. Alors, après l’espace, il restait un environnement encore peu connu et moins souillé que le reste : les abysses. Je vous laisse deviner quel héritage sera laissé.
Des abysses bientôt bas-fond ?
Les profondeurs de nos océans, à l’image de l’espace, ont toujours été synonymes de fantasmes en tout genre. Entre fascination et terreur, l’homme n’a cessé de rêver ce qui se cachait dans ces abysses.
Depuis la fin de tout espoir concernant notre envolée dans le vide intersidéral, les scientifiques, politiques et artistes, ne jurent que par les abysses. La science-fiction elle-même se tourne vers cet espace, dédaignant, sous la contrainte, nos étoiles.
Sonder les abysses, pour autant, n’est pas un acte de pure philanthropie. Les intérêts économiques sont majeurs tant les ressources trouvées depuis le début de son exploitation, se sont révélées être salvatrice. L’outillage autrefois dédié à la recherche spatiale a été adaptée à l’exploration des profondeurs, lissant, dans un premier temps, les dépenses du secteur. Le défi technologique et logistique a pu être dépassé, les forages débuter après d’âpres batailles judiciaires et militaires…
Car oui, l’exploration des profondeurs s’est d’abord heurtée aux droits maritimes, lançant des tensions internationales avant d’aboutir, à l’aube d’un conflit mondial, à des négociations partageant les exploitations non pas sous la bannière d’entreprises privées, mais bien à travers une structure Onusienne. De la sorte, les sites de forages, leur exploitation ainsi que leurs bénéfices, ne peuvent être régulés par un seul état, qu’importe que les lieux d’exploitation soient dans leurs eaux ou non. Les abysses sont inscrits au patrimoine mondial, non pas de préservation, mais d’exploitation.
Si un virage écologique a dominé nos sociétés pendant plus d’une décennie, il aura cédé face aux crises des ressources. Être écologiste à présent est considéré comme une entrave aux biens communs, presque autant qu’être reconnu Pirate. Les forages n’ont eu de cesse d’être décriés mais tout mouvement de révolte a été tué dans l’œuf. Dès lors que les promesses de nouvelles ressources se sont avérées, la préservation des fonds marins n’a pas tenu le choc. Tout au plus est-ce une ligne dans le contrat mis en place par les membres de l’ONU. Mais partout où passent les machines de forage, la vie trépasse.
Les conséquences sont méconnues, les détracteurs étant poussés au silence et depuis la 1re Guerre Mondiale Numérique, ce sujet est passé au second plan. Il faut dire que ce qui se passe dans le fond des océans n’est visible de personne. A l’inverse des mines terrestres où les ravages sont facilement identifiables, il n’y a rien de tel dans les abysses. Tant que le saccage est invisible, c’est qu’il n’existe pas. Les conséquences, nous les subirons tôt ou tard, indubitablement.
L’espoir de découvrir des ressources vraiment miraculeuses se fait encore attendre, en attendant, nos abysses tremblent, tout un écosystème est détruit mais qu’importe, nous ne sommes plus à ça près.
Il y a fort à parier que nos abysses subiront le même sort que nos montagnes, nos sous-sols ou encore cet espace devenu décharge. Et tout cela en nous demandant de rester aveugles et sourds à ces ravages organisés et soutenus par les instances mondiales.
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